LEUR cartable : Bernard Chambaz

Bernard Chambaz - Mardi 05 Juillet 2016
MON CARTABLE
J'ai beau chercher, je ne me revois pas avec un cartable à la communale. Ce n'était pas l'école buissonnière, mais nos cahiers nous attendaient, tous les matins de classe, sagement rangés sous nos tables. Ainsi nous avions les mains libres, les mains volontiers dans les poches, pour avoir l'air crâne et pour m'assurer qu'aucun des cinq osselets n'était tombé par le trou que ma mère devait racommoder sous peu. Il me semble qu'on n'avait pas encore inventé les cartabes à bretelles -- ceux que nous achèterons à nos enfants les tout derniers jours d'août, dans un magasin UPIM, au retour de nos vacances en Italie.
Mon premier cartable, je l'aurai forcément eu pour mon entrée en 6eme. C'était donc un cartable de collégien que je n'ai pas non plus souvenir d'avoir choisi, je ne suis même pas certain qu'on pût choisir un cartable, pour sa couleur ou son motif, à cette époque assez lointaine. J'imagine qu'il était en cuir, ou simili-cuir, et il n'avait pas de reflets rutilants, sinon je m'en souviendrais. J'y fourrais donc mes cahiers et mes livres en fonction des cours de la journée, lundi français histoire éducation physique, bonne journée, mardi, mathématiques allemand sciences nats musique, rude journée en perspective, etc., en essayant avec un succès relatif de ne pas me tromper de jour et de ne rien oublier. La trousse, bien sûr, était du voyage. Fallait-il encore vérifier qu'elle était au complet -- compas, rapporteur, le mardi, qu'il fallait alors emprunter à un copain, sans se faire repérer. Le plus important était le carnet de correspondance, où les professeurs reportaient nos notes et des observations qui pouvaient s'avérer malveillantes, sans raison. Par un effet de ma volonté, il m'est arrivé, parfois, de l'égarer. Ce que je n'oubliais jamais, en revanche, c'était la balle de plastique jaune avec laquelle nous jouions au football dans la cour à la récréation et, mieux encore, au square voisin dès que l'occasion s'en présentait. Mon cartable trouvait alors sa destination idéale : poteau de but. Dans ce rôle, il se montrait à son avantage ; poteau rentrant quand on attaquait, poteau sortant quand on défendait. A la fin de nos parties qui n'en finissaient pas, il suffisait de passer la main dans laquelle on avait craché pour enlever la poussière.
Le plus drôle, si j'y repense, c'est que mon père avait à peu près le même cartable que moi. Je devais préparer le mien le soir. Lui il avait le droit d'attendre le lendemain matin, c'était sans doute un privilège de père. Alors il y glissait les cours qu'il allait dispenser à ses élèves puis le journal L'Humanité avant de le lire dans le métro où il l'abandonnerait sur son siège pour qu'elle apportât ses lumières au peuple. Le plus drôle donc c'est que mon père n'appelait pas son cartable par ce nom de cartable mais « serviette » qui me paraissait à la fois très chic et un peu ridicule parce que les serviettes, franchement, c'était pour s'essuyer la bouche et les mains aux repas.
Bernard Chambaz - Écrivain
Auteur de : Vladimir Vladimirovitch (Flammarion)